Covid-19 - Sinon tout cela sera vain


Nous nous élevons, nous nous unissons contre un ennemi commun, le covid-19. Nous parlons de bataille pour la vie, de solidarité, contre cet envahisseur microscopique. Nous usons et abusons de dénominations qui pourtant sont tellement antinomiques de nos pratiques. C’est parce que nous sommes touchés ou pourrions l’être par le décès d’un proche, que nous voyons nos libertés restreintes, que tout à coup, nous redécouvrons des valeurs de respect, d’hymne à la vie. Mais tout cela n’est que champ lexical temporaire, la pandémie passée, il est fort probable, que nous oubliions ces vertus humanistes.  La bataille sera gagnée mais la guerre est déjà perdue ou en passe de l’être. Notre suffisance est trop forte. Nos mots frôlent l’indécence car notre espèce, dans son mode occidental, est arrogante, incapable de remettre en cause ses propres tares. La guerre à mener est bien celle contre nos propres actions et notre propre dégénérescence.


Station de tram - gare de Strasbourg
La majeure partie des virus ou bactéries à l'origine des épidémies et pandémies ( SRAS, H1N1, Covid-19....) a été véhiculée par des zoonoses issues de nos pratiques d’élevage, de commercialisation d’espèces sauvages, de nos pratiques de chasse (1). Nous parlons de guerre pour la vie, en nous repaissant de la chair animale, qui plus est d’animaux entassés et meurtris dans des conditions que nul humain ne devrait accepter. La vie que nous défendons est celle qui nous ressemble, c’est une défense sélective, égocentrée. Et même celle des humains reste conditionnelle, dès lors qu’il s’agit de défendre notre carré de propriété. Nos yeux sont aveugles aux migrants qui se noient dans la Méditerranée ou qui sont entassés aux portes de l’Europe. Eux aussi, crient: vie ! Nous sommes indifférents au sort des Roms, que l’on caricature aisément sans même nous interroger sur les persécutions qu’ils vivent en Europe de l’Est. Et encore plus indifférents aux espèces qui s’éteignent face à notre prédation et notre occupation. 

Nous ne remettrons pas plus en cause les marchés d’animaux. La Chine vient elle-même de préconiser l’utilisation de bile d’ours pour traiter ce coronavirus (2). La France, elle vient d’envoyer deux mille cochons en Chine pour ré-alimenter le marché asiatique (3). Qu’importe les souffrances, les échanges, les risques… Nos oeillères demeurent. 

Nous ne remettrons pas en cause notre consommation de produits animaux, ne serait-ce un instant que par compassion, parce que “l’autre” avec son regard a peut-être juste envie de vivre… et de ne pas finir en exhausteur de notre assiette. Le plaisir passe toujours et passera toujours avant l’intérêt même de la vie.

Nous ne remettrons même pas en cause le confinement de ces millions d’animaux de cirques, de zoos, de laboratoires ou d’élevages, car notre hymne à la liberté s’arrête une fois de plus aux frontières de notre égo et de nos plaisirs futiles. Le confinement nous le vivons dans nos tripes pas dans celle des autres. Nous en sommes incapables. 

Nous ne remettrons pas en cause notre manière de consommer, notre manière d’agir. Le réchauffement climatique ne fera qu’aggraver notre déchéance, mais comme des enfants inconscients, nous continuerons à voter pour les mêmes politiques qui prônent l’immobilisme ou le vernissage de façade. Le permafrost fond inexorablement, au risque de libérer un puissant gaz à effet de serre, le méthane et des virus oubliés dans les entrailles de la Terre. Mais nous continuerons parce que nous et ceux que nous avons élus n’ont aucune vision sur le long terme et que nous avons peur du changement, nous avons peur de perdre.

Nous ne remettrons pas en cause notre système économique, les bourses s’effondrent, les actionnaires profiteront du rebond sur le dos des travailleurs. Le gouvernement cassera le code du travail, les hôpitaux et leur personnel paieront et paient déjà le prix de l’immobilisme. Nous avons bâti une société du hors-sol, qui est tétanisée dès lors qu’il s’agit de revenir aux racines, à l’essentiel. Le hors-sol rassure, il permet de se déconnecter de notre véritable nature, de garder cette illusion d’un homme autoproclamé “roi de la création”(4). 

Alors arrêtons de parler de “vie” ou de guerre, dès lors qu’il ne s’agit que d’une bataille pour sauver nos intérêts. Oui, elle est belle cette solidarité avec les personnels soignants qui sont au front pour combattre ce terrible virus. Mais elle est aussi très hypocrite, si nous ne changeons rien au plus profond de notre manière d’être, si nous ne modifions pas radicalement notre rapport à l’autre qu’il soit humain, animal ou végétal. 

Le virus le plus dangereux est l’homme et son hôte est la Terre elle-même. La véritable guerre à mener est celle contre notre propre modèle de civilisation. L’homme doit devenir enfin… humain. Sinon tout cela sera vain.


Franck Schrafstetter - 27 mars 2020






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